Est-ce un non événement ou une bonne nouvelle ? Frédéric Mitterrand vient d'adresser une lettre au Conseil Supérieur de la Propriété littéraire et artistique (CSPLA). Selon le communiqué de l'Union des Photographes professionnels (UPP), "le ministre de la Culture et de la Communication demande qu’il soit procédé à une analyse approfondie des conditions de cession des droits des auteurs par les banques d’images « microstocks ». Cette action, ajoute le communiqué de l'UPP, vise principalement les licences de vente en ligne « libre de droits » des photographies, dont le modèle économique est né aux Etats-Unis et dont le plus emblématique est Fotolia. L’analyse aura lieu à la fois d’un point du vue économique (concurrence déloyale, mise en péril d’un secteur d’activité) et d’un point de vue juridique (compatibilité avec la loi française)".
Le SCPLA aura à "proposer les pistes d’éventuelles adaptations qui permettent aux auteurs de continuer à bénéficier des sources de revenus et des protections nécessaires à leurs activités".
Pour l'UPP, il s'agit d'une "victoire", le ministre reconnaissant, "d’une part que ces licences de vente en ligne « libre de droits » à prix dérisoires mettent en danger l’ensemble de la filière photographique, au détriment des photographes et des agences". Et, d'autre part, "que la question de la légalité ou l’illégalité de ces licences se pose sérieusement".
Mais l'UPP ajoute : "Il serait cohérent que le Ministère des Finances et le Ministère du Travail se saisissent également de ce dossier, car non seulement les microstocks laminent la création photographique et tuent notre secteur d’activité mais ils prétendent ne pas être soumis à la législation française sur le plan fiscal et social ; refusant à notre connaissance de payer l’AGESSA et la TVA pour des paiements générés en France."
A première vue, en effet, c'est un progrès dans l'appréciation que le gouvernement porte sur ces banques d'images, qui revendent, à un prix dérisoire, des photos fournies par des gogos pour presque rien... A regarder de plus près, on constate que cette recommandation, faite à un organisme de contrôle dépendant du ministère de la Culture, ne remet pas fondamentalement en cause les méthodes des microstocks. Tout au plus le ministre fronce-t-il les sourcils devant des pratiques maintes fois dénoncées et annonce-t-il des "adaptations". On semble loin d'une véritable enquête pouvant déboucher sur des mesures de coercition, d'autant que Fotolia, pour ne prendre que cet exemple, se réclame du droit américain tout en faisant ses affaires en France.
Marge étroite
De plus, ce n'est pas une complète nouveauté. Le 3 juillet dernier, l'association PAJ (Photographes, Auteurs, Journalistes) annonçait déjà avoir obtenu du ministre que "les pratiques commerciales de Fotolia soient examinées par le Service de répression des fraudes, à la demande du ministère de l’Industrie, de l’Energie et de l’Economie numérique, et par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), à la demande du ministère de la Culture et de la Communication". Il ne semble pas que, huit mois plus tard, ces procédures se soient concrétisées.
Le sujet n'a d'ailleurs pas tardé à diviser les intéressés, qui ont ouvert un débat sur le forum Chassimages. Les uns considèrent que Fotolia joue sur le velours en se réclamant de la législation commerciale américaine, les autres contestent à ce microstock le droit de se soustraire au droit social et fiscal français, dès lors que les vendeurs et acheteurs sont français. Si le débat se politise, au lieu de rester dans des limites économiques, éthiques et légales, les microstocks ont encore de beaux jours à attendre.
Quant au ministre lui-même, rien ne permet de penser qu'il a évolué vers une véritable défense des photographes professionnels, depuis que le gouvernement a offert un trophée à Fotolia, le 30 mars dernier. Fin décembre, Frédéric Mitterrand lançait les travaux d'un observatoire du photojournalisme, dont l'ordre de mission ne paraissait pas non plus de nature à rassurer vraiment la profession. Certes, dans toutes ses déclarations, il se dit à l'écoute des soucis exprimés. Mais sa marge de manœuvre − sinon sa bonne volonté − semble bien étroite.